Désirant pouvoir expliquer ce qu'est la loi Hadopi, appelé également Création et Internet, à mon entourage, j'ai décidé d'écrire ce billet qui est une synthèse assez complète sur ce qu'elle est, ce qu'elle promeut et ce qu'elle devrait promouvoir.
Les grands majors ayant constaté une baisse considérable des ventes de CD ces dernières années, ceux-ci et le gouvernement en ont déduit qu'elle était causée par les téléchargements illicites sur Internet appelé piratage, et ont décider de mettre en place une riposte graduée, tout ceci dans un but pédagogique pour promouvoir le financement de la création.
Hadopi a pour but de réduire massivement le piratage des œuvres artistiques en filtrant ces téléchargements illicites sur les réseaux pair à pair. Lorsqu'un téléchargement illicite sera détecté, l'adresse IP du pirate sera relevée. Il s'agit en réalité de l'adresse IP de sa Livebox, Freebox, Neufbox, etc... et non celle de son ordinateur, c'est un peu comme une adresse postale.
Si notre adresse IP est relevée, la sanction sera graduée :
Si je ne m'abuse, la suspension de la connexion Internet sans suspendre le téléphone et la télévision via notre Box est difficile, et n'est même pas possible pour 30% des connexions, donc nous risquons de nous retrouver sans Internet, ni téléphone, ni télévision. De plus ce déploiement coûte très cher sans compter les coups de filtrages massifs.
Lors des discussions du projet de loi, la mise en place d'un serveur téléphonique a été suggérée pour permettre une communication directe avec l'Hadopi mais cette proposition a été refusée. A la place, l'Hadopi pourra demander aux FAI nos numéros de téléphones ce qui constitue une atteinte à la protection des données personnelles. Donc l'Hadopi pourra nous contacter, mais l'inverse ne sera certainement pas possible. Le recours à un juge est normalement possible mais très compliqué.
En réalité, nous n'avons pas vraiment de recours pour prendre connaissance nos délits et prouver notre bonne foi.
En tout cas, le seul moyen de prouver notre innocence, d'après Christine Albanel, est d'envoyer notre disque dur à l'Hadopi. Ceci est parfaitement insensé puisque :
Cette Haute autorité considère que l'adresse IP est aussi fiable qu'une plaque d'immatriculation, en réalité elle est plutôt douteuse car elle n'est pas plus précise qu'une empreinte de pas donc ne permet pas d'identifier de manière certaine le pirateur. En effet, il est très facile d'usurper l'adresse IP d'autrui comme l'a prouvé l'UFC-Que Choisir devant huissier (voir article ici).
Pour remédier à cet inconvénient majeur, l'Hadopi labellisera des logiciels de soi-disant sécurisation. En fait il s'agit de logiciel espion ou de filtrage permettant de prouver que la personne incriminée a bien un dispositif anti-piratage activé. Si vous désactivez ce logiciel, l'Hadopi en sera avertie ce qui prouve bien qu'il s'agit d'un mouchard. Une fois de plus, il y a atteinte à la vie privée. Ces logiciels seront non-intéropérables, distribués sous licence propriétaire et payants. De plus, ils auront besoin régulièrement d'être mis à jour au même titre que les anti-virus. Ces mises à jour seront certainement payantes elles-aussi. En période de crise économique, le gouvernement veut nous faire payer pour sécuriser notre accès au lieu de nous inciter à financer la création en achetant des CD, dont les prix sont toujours exorbitants, ce qui est un non-sens par rapport au but de cette loi.
D'autre part, la philosophie du logiciel libre étant contraire au filtrage et à l'espionnage des ordinateurs, mais aussi pour la liberté d'avoir accès aux codes sources des logiciels, le monde du libre se trouve pénalisé une fois de plus par cette loi car ses utilisateurs n'auront aucun moyen de sécuriser leur ordinateur comme l'entend l'Hadopi. Nous sommes donc une fois de plus incités à nous tourner vers des logiciels propriétaires, coûteux et étrangers au lieu de favoriser l'économie française du logiciel libre.
Je rappelle aimablement que le gouvernement à migrer vers les logiciels libres pour des questions de coûts, de protection et de sécurité des données.
Non, il n'existe pas un moyen, mais une quantité phénoménale.
Cette loi filtre uniquement les réseaux pair à pair classiques, or il existe pleins d'autres moyens pour transférer des données.
En voici quelques exemples :
Ces moyens existent déjà et leurs utilisations seront très vite documentées et facilement accessibles à tous.
Comme les internautes doués en informatique, et même des moins doués, seront bien au courant des possibilités de contourner cette loi, ce ne seront que les néophytes qui auront mal sécurisé leur réseau, qui seront infectés de virus, qui n'auront pas les moyens de payer de logiciel de sécurisation labellisée Hadopi, et qui ne téléchargent que très peu voire pas du tout qui seront sanctionnés.
Nous avons parlé de l'aspect sanction de l'Hadopi, sévère, disproportionnée et inapplicable, mais nous n'avons pas encore évoqué l'aspect rémunération de la création.
Tout d'abord, n'oublions pas que cette loi a été rédigé uniquement à cause de la baisse des ventes de CD. En réalité, les gens achètent toujours beaucoup de musique mais en MP3 sur iTunes, Amazon..., et les concerts continuent de fleurir. De plus il faut savoir que les maisons de production s'enrichissent sur le dos des artistes. Sur un album vendu 15€, les artistes touchent à peine 0.5€. De plus, nous payons des taxes sur les CD/DVD vierges, les disques durs et clés USB pour rémunérer la création. D'ailleurs, la solution de la licence globale qui consiste à taxer les abonnements Internet, les ordinateurs... permettant ainsi de légaliser le partage des fichiers entre internautes n'a pas été retenu.
Regardons un peu dans le passé, au cours du 20ème siècle il y a toujours eu des avancées technologiques qui remettaient en cause le modèle économique du financement de la création. Lorsque la radio a eu le droit d'émettre de la musique gratuitement, les majors nous assuraient que cela allait tuer la musique. Lorsque la télévision a été banalisée, ils nous affirmaient qu'elle allait tué le cinéma. Idem avec les cassettes VHS et audio, les CD et DVD. Pourtant à chaque fois, ils ont su s'adapter à la situation.
La même chose se produit avec Internet, elles veulent nous faire croire que le partage d'œuvres culturelles entre citoyens va tuer la création et nous traitent de pirates. Un pirate, dans ce contexte, est une personne qui s'enrichit au dépens d'autrui, or ce ne sont pas les internautes qui s'enrichissent au dépens des artistes, mais les majors comme l'a bien souligné Jean-Pierre Brard lors des discussions du projet de loi (voir vidéo) et comme je l'ai expliqué ci-dessus.
Il faut aussi comprendre qu'un modèle économique basé sur des biens matériels (CD, DVD...) est très différent d'un modèle basé sur des biens immatériels (MP3...). On parle d'économie de rareté pour les biens matériels car lorsqu'on les partage, ils se divisent (une pizza par exemple), Au contraire on parle d'économie d'abondance pour les biens immatériels car ils se multiplient lors de leur partage (une recette de cuisine par exemple).
Les majors ont toujours essayé de transposer leur modèle économique de rareté sur Internet au lieu de développer un nouveau modèle adapté. Ils vendent de la musique en ligne en faisant payer environ 1€ par titre ce qui est aussi cher qu'un CD alors qu'il n'y a aucun coût de production et distribution, et en plus les artistes touchent encore moins d'argent que sur la vente de CD.
Depuis quelques années, les artistes, souffrant de cette situation, se détachent progressivement des majors au profit de l'auto-production ou de petites maisons de production. Il est vrai qu'avant il fallait beaucoup d'argent pour produire un disque, faire la promotion, s'occuper de la distribution... Maintenant elles sont à la portée de tous grâce à Internet puisque le coût d'une copie numérique est nulle, le coût d'un site de promotion est quasiment nul, surtout que les fans sont les meilleurs agents de promotion. Grâce à ce partage de culture, les gens écoutent de plus en plus de musique et vont voir plus de concerts.
En réalité, seuls les majors souffrent du piratage car ce sont eux seuls qui ont toujours contrôler la diffusion de la culture, et ne veulent pas perdre leur monopole. Or la culture doit être librement accessible à tous. La plupart des artistes sont très contents que les gens téléchargent leurs œuvres. Seuls ceux qui sont obstinément contre, sont, pour la plupart, ceux dont la réputation est faite depuis longtemps et qui n'ont jamais compris l'opportunité qu'offre Internet.
Regardons ensemble quelques artistes satisfaits du téléchargement :
Comme pour le logiciel libre, il existe des licences libres spécialisés pour les œuvres artistiques et littéraires. Il s'agit du meilleur moyen actuellement pour un artiste peu connu voire inconnu de se faire connaître. Jamendo et Dogmazic sont deux sites de streaming et de téléchargement de musique sous licences libres.
Ces nouveaux modèles libèrent les artistes des majors car ils n'ont plus besoin d'eux pour faire leur propre promotion et distribution, ce sont eux-mêmes et les fans qui s'en chargent. Les artistes deviennent complètement indépendants et libres.
Mais la loi Hadopi leur met des bâtons dans les roues. Il est prévu qu'elle labellise des sites d'offres légales, commerciales ou non. Ceci signifie que le gouvernement autorisera uniquement certains sites de téléchargement. Or si je désire à titre personnelle créer une œuvre et la distribuer sous licence libre sur mon propre site, il faudra que je sois labellisé. En effet, malgré la licence qui autorise légalement à tout le monde de la télécharger et la partager, les citoyens auront tellement peur de commettre un acte illégal qu'ils se référeront à la liste des sites labellisés du gouvernement et donc mon auto-promotion est compromise.
Alors que des nouveaux modèles économiques favorisant la création et le partage à l'ère du numérique se développent, l'Hadopi les freine. Elle n'est pas là pour développer la création mais pour protéger les majors, contrôler le réseau, menacer et punir les citoyens partageurs. Cette loi va tuer Internet, les artistes et l'accès à la culture. Et elle se vente de s'appeler "Création et Internet" et se qualifie de pédagogique, la cerise sur le gâteau.
Et ce n'est pas fini, il est même prévu qu'elle soit enseignée aux collégiens pour valider le B2I sans même évoquer l'existence de licences libres (voir article). J'appelle ça de la propagande.
Hadopi :
Heureusement que la Quadrature du Net et autres citoyens ont toujours été là pour expliquer et donner des solutions aux députés et aux citoyens.